ANONYME, adj. et subst.

Dont on ignore le nom, qu’on n’a pas pu identifier. Qui n’a pas de nom.

Si l’on remonte au récit biblique des origines, dans la Genèse, on tombe immédiatement sur l’aporie : pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? La Bible répond à sa manière : au départ était le « tohu-bohu », soit le vide, le néant, ce qui n’avait pas encore été nommé : l’anonyme. La Création s’est opérée par le Verbe divin : Dieu dit, et le monde fut. Dieu nomma et la chose advint : le monde naturel, et l’homme. C’est donc bien le nom qui tire du chaos, de l’anonyme. Dieu confia aussi à l’homme de nommer les animaux. Le nom est l’antidote à l’anonyme. Le nom instaure l’être, de l’homme et du monde. Il en délimite les contours.

Lévinas évoque le grondement effrayant de l’être, de l’« il y a », anonyme, dans le premier de ses essais. Dans la perspective chrétienne, Dieu n’est pas dans le monde qu’il a créé, et dont il est distinct, mais Dieu se révèle aussi au travers de sa Création. « Les perfections invisibles de dieu (…) se voient fort bien depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages », écrit Paul, dans l’épitre aux Romains. Blanchot, lui, s’inscrit dans le prolongement de ce qu’on nomme la « théologie négative », où Dieu ne peut ni être pensé, ni contenu dans les limites du langage. Il devient alors une puissance anonyme, innommable, et lointaine. Mais ce n’est pas le message que délivre l’ensemble de la Révélation biblique.

La nomination est essentielle, dans la Bible, en particulier en ce qui concerne Dieu. Les noms de Dieu abondent, qui révèlent, chacun, une facette de sa divinité. La Révélation la plus complète ayant été donnée en Jésus-Christ, qui se nomme « Emmanuel », ce qui signifie : « Dieu avec nous », parmi les hommes, et renvoie à l’Incarnation. Dieu s’est fait homme pour se rapprocher des hommes et prouver son amour pour eux. Donc, non, Dieu, dans le christianisme, n’est pas un Dieu anonyme, et lointain.

Lorsque les Structuralistes ont posé l’évidence des structures anonymes, ils ont écarté la question qui allait de pair : mais d’où proviennent ces structures ? Pourquoi existe-t-il des invariants culturels ? Ils ne voulaient pas entrer sur le terrain de la métaphysique. Ils rejetaient, avec l’anthropocentrisme, le christianisme, comme des fondements périmés de la culture européenne.

Mais se tenir dans l’anonyme, en ce qui concerne l’être du monde, de l’homme ou de Dieu, c’est rester du côté du chaos, de l’indistinct, de l’innommable, de l’inconnaissable. Au contraire, choisir la nomination, contre l’anonyme, c’est se positionner en faveur de l’être, de la différence, acceptée, de la valeur propre, mais aussi de la reconnaissance en l’autre de son semblable.


Lire (ou relire) la série :

https://www.imagodei.fr/anonyme-definition-introduction/

https://www.imagodei.fr/anonyme-definition-1/

https://www.imagodei.fr/anonyme-definition-2/

https://www.imagodei.fr/anonyme-definition-3/

https://www.imagodei.fr/anonyme-definition-4/

https://www.imagodei.fr/anonyme-definition-5/

Rédacteur

Jean-Michel Bloch

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