Comment vivre une vie incarnée : étape 3

Tout commence par un oui.

« Alors, au bout du compte, n’y avait-il pas encore quelque chose comme une décision à prendre ? Nous ne devrions pas être étonnés, car “l’existence” […] n’est rien d’autre qu’une décision. »1 Viktor Frankl, survivant de l’Holocauste, neurologue et psychiatre autrichien, a écrit ces mots qui, pour ma part, résonnent encore. Sa réponse ? Dire « oui à la vie », malgré tout.

Car tout commence par là. Un oui à la vie, celle qui se laisse chambouler et surprendre. Un oui à l’imprévu dans le « prévu de Dieu ». Un oui à la vulnérabilité, celle qui nous fait regarder nos fragilités avec bienveillance. Un oui à la crise…


De la crise universelle…

Car il semble bien que la crise soit un point de départ.

Selon la Bible, il existe un avant et un après.

Un avant où l’être humain vivait une relation parfaite avec Dieu, et un après, où la relation est entachée d’une rupture : l’Homme a, semble-t-il, posé le choix de « faire sans Dieu »2. Et cela aurait également engendré une rupture entre les êtres humains eux-mêmes et en eux-mêmes. Or le cœur de la foi chrétienne tient dans la réponse apportée à cette crise de grande ampleur. Ainsi, dans la Bible, Dieu promet quelqu’un qui sera capable de rétablir et de restaurer ces relations brisées3.

Jésus, Dieu en personne, Dieu fait chair, serait cette personne.

Mais peut-être devons-nous aller au cœur de cette incarnation pour y découvrir ses richesses. Pour cela, plongeons-nous dans une crise…improbable.


…à la crise personnelle conduisant au choix

L’incarnation de Jésus débute elle aussi par une situation de crise, celle d’un couple : Joseph et Marie. Un couple qui devait certainement vivre sa vie, avec ses projets et ses plans. Pourtant, une annonce fait soudainement exploser la tranquillité d’une vie quotidienne qu’on imaginait sans accros particuliers :

Marie se retrouve enceinte de façon miraculeuse4, mais au risque d’être stigmatisée et mise au rebut par la société dans laquelle elle vit. Joseph quant à lui, doit alors garder confiance en sa fiancée, et dans un avenir complètement chamboulé.

Jésus n’est même pas encore né qu’il vient déjà semer la pagaille ! La situation a de quoi être des plus singulières, mais déjà, elle révèle un élément essentiel :

Dieu choisit la vulnérabilité.

Le premier oui réside donc en ceci : le oui d’un Dieu qui choisit de s’incarner, dans la vulnérabilité.

Mais il semblerait que le oui de Dieu se doive d’être suivi par un autre (de quoi accroître cette vulnérabilité !) : celui de l’Homme. Ou plutôt, dans notre récit biblique, le oui d’une femme, Marie. Encore une fois, nous retrouvons cette idée primordiale de « partenaire » qui caractérise la relation à Dieu.

Ainsi, en s’incarnant, Dieu nous pose devant ce choix : l’accepter, ou le refuser.


Accueillir la vulnérabilité

Le « oui » de Marie rejoint celui de Dieu. Chacun dit ensemble « oui » à la vulnérabilité. L’un accepte de dépendre d’un couple. En se faisant homme, il accepte le processus entier, de la naissance à la mort. Il dépendra alors du bon soin de ses parents, de l’éducation donnée, du manger et du boire disponible et des dangers extérieurs.

L’autre dépend du bon soin de Dieu. Car la voilà dans une situation précaire : Marie risque, à tout le moins, d’être abandonnée par son fiancé Joseph et de se retrouver seule à élever cet enfant à venir. Pire encore, elle risque la répudiation, voire, la lapidation5, car encore faut-il convaincre les autres (à commencer par Joseph) qu’il ne s’agit pas d’un adultère ! En somme, sa vie même semble menacée…

« C’est ainsi qu’au cœur de l’échec, de la perte et du manque, je découvre que la vie circule dans sa gratuité. Car je n’ai pas à « gagner ma vie », mais à l’accueillir et ainsi l’honorer. »6

On pourrait alors voir ici la rencontre de deux vulnérabilités qui s’accueillent mutuellement. Répondre « oui » à Dieu, c’est accepter un Dieu qui bouleverse nos existences. Car il nous fait passer à la vie, la vraie : celle qui engage et qui reconnaît le besoin vital d’un Dieu « à qui rien n’est impossible »7. Car il me faut bien reconnaître ma propre faiblesse à porter et faire advenir la vie par moi-même. Ainsi, Dieu devient source de vie et se fait compagnon de route dans tout ce qui traverse mon existence.

Ici réside la clé d’une vie incarnée : elle l’est car Dieu lui-même l’incarne et l’habite.

Avec l’incarnation, la venue de Jésus, m’est alors posé cette question : suis-je prêt, dans le creux de ma propre vulnérabilité, à laisser place à Dieu qui vient m’y rencontrer ?

« Où puiser la force de guérir de nos blessures et de nos ruptures ou de notre insuffisance fondamentale, si ce n’est dans […] l’amour d’alliance d’un Dieu engagé à tout jamais envers nous ? Or la perspective d’ouvrir notre porte à ce souffle apparemment irrésistible suscite en nous à la fois craintes et espérances. Nous faisons la découverte que cette énergie divine respecte nos résistances. Incroyablement douce et patiente, elle n’attend pour intervenir que notre consentement. »8


1Viktor E. Frankl, Oui à la vie, les éditions de l’Homme, 2021, p.34. Ses conférences datent de 1946.

2C’est l’objet des récits dans le livre de la Genèse, les chapitres 1 à 3.

3Voir par exemple des textes bibliques tels que le chapitre 11, les versets 2 à 4 ou le chapitre 53, les versets 4 à 6 du livre d’Ésaïe, ou dans le livre de Jérémie, au chapitre 23, verset 5, ou même, dans le livre de Sophonie, au chapitre 3, des versets 16 à 20, dans l’Ancien Testament.

4Voir l’évangile de Matthieu, chapitre 1, des versets 18 à 24 et l’évangile de Luc, chapitre 1, des versets 26 à 38, dans le Nouveau Testament.

5À cette époque et selon une loi donnée dans l’Ancien Testament, c’était le risque encouru pour un adultère ; voir Lévitique 20.10 et Deutéronome 22.22. Jésus, en Jean chapitre 8, des versets 1 à 11, confronté à une femme accusée d’adultère, ramène au cœur de la loi : l’amour. Il ne condamne pas la femme mais ne minise pas non plus sa faute puisqu’il lui dit « Tu peux t’en aller, mais désormais ne pèche plus ».

6Thierry Lenoir, Le Souffle pèlerin, éditions Cabédita, 2020, p.49

7Évangile de Luc 1.37

8Thérèse Glardon, Ces crises qui nous font naître, éditions Labor et Fides, 2009, p.155

Sara Le Levier

Rédacteur

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Louise Dibling

Contributeur

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