Quel est le sens de la vie ? Que dit l’idée de l’absurde sur nous et sur notre place dans le monde ?

Dans la dernière saison de la série télévisée populaire Game of Thrones, il y a une scène intéressante. Elle est intéressante pour une raison un peu bizarre. Pendant la première diffusion de l’épisode appelée « The last of the Starks », les spectateurs au regard vif ont pu apercevoir sur la grande table en pierre un gobelet en papier comme ceux que l’on trouve chez Starbucks. Dans ce monde de magie, de dragons et de fantaisie qui demande qu’on suspende volontairement son incrédulité, ce gobelet n’avait clairement pas sa place ! 

Dans le contexte du monde fictif de Westeros, la découverte de ce gobelet pourrait indiquer que le monde est bien plus complexe que ses habitants ne l’ont réalisé. Au minimum, il faut qu’il existe des choses comme le café, des produits en papier, des cafés, des baristas etc. Dans les diffusions ultérieures, le gobelet a été retiré numériquement et les fans de la série peuvent rétrospectivement rire de cette drôle d’erreur.

Ce genre de choses arrive fréquemment dans le monde réel. En science, par exemple, lorsqu’on fait une nouvelle observation qui ne correspond pas avec l’ancienne manière de comprendre les choses, il faut revoir l’ancienne manière de comprendre1.  

Il n’y a pas de fumée sans feu

Aujourd’hui, la vision standard est que l’univers n’est que matière et énergie éternelles. C’est un univers purement naturaliste et matérialiste. Progressivement, cette vision de l’univers est devenue un consensus quasi monolithique.

Nous vivons dans « …un univers de forces physiques aveugles et de réplications génétiques [où l’on] ne trouve ni rime ni raison ni la moindre justice.  L’univers observable possède précisément les propriétés auxquelles nous devrions nous attendre s’il n’y a, au fond, ni dessein, ni but, ni mal, ni bien, ni rien d’autre qu’une indifférence impitoyable2 ».

Richard Dawkins

Si c’est vraiment le cas, la réponse d’un tel univers aux questions les plus profondes du cœur humain serait un silence fort et assourdissant.

Au final, la vie n’a aucun sens. Car le but de la vie, la beauté, l’amour, le transcendant (et toutes les qualités et particularités de notre réalité) ne sont pas le genre de choses qui peuvent faire partie d’un univers naturaliste. Et pourtant, les êtres humains aspirent profondément et inévitablement à trouver un sens à la vie… 

Les philosophes existentialistes tentent de réconcilier ces deux réalités. D’après Albert Camus, la seule façon de choisir entre le suicide intellectuel (croire au sens à la vie par une sorte de saut de la foi) et le suicide physique (succomber au désespoir dans un univers ou la vie n’a aucun sens) est d’embrasser l’absurdité : imaginer que Sisyphe, dans son labeur insignifiant, condamné à jamais à faire rouler un grand rocher en haut d’une colline pour le voir redescendre, est heureux.

Mais cette illusion de bonheur donne-t-elle une réelle satisfaction ? Donne-t-elle une bonne réponse à l’angoisse profonde que beaucoup ressentent en vivant la dissonance entre le désir profond d’un sens à la vie dans un univers où il est introuvable ?

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Avoir l’impression qu’il y a plus

Cette vacuité est impossible à ignorer. Entre suicide intellectuel et suicide physique, il ne reste plus qu’à s’anesthésier soi-même par la poursuite du plaisir, de la tranquillité personnelle et de l’abondance quelques fois aidée par des drogues, et/ou une recherche souvent frénétique, voire hystérique de l’identité ! Malgré cela, la réponse demeure insaisissable. On court après des choses en espérant qu’elles nous donneront l’épanouissement et la satisfaction, mais l’euphorie ne dure que peu de temps. Très rapidement, on se tourne vers de nouvelles choses (ou plus de la même chose) pour enfin nous combler. Cela vous dit quelque chose ? C’est un cercle vicieux  qui a été exploité avec succès par le capitalisme et le marketing dans une économie axée sur la consommation.

Or, la sagesse ancienne du livre des Proverbes dans la Bible rappelle que les yeux de l’homme ne sont jamais satisfaits et veulent toujours plus. Ainsi, ne semble-t-il pas que cette recherche de bonheur et de plaisir soit mal orientée dès le départ ?

Victor Frankl semblait le penser. Il a dit que l’aspiration la plus profonde et la plus vraie de l’expérience humaine est celle du sens, et non du bonheur3. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un sens individuel, mais bien d’un sens ultime. Comment cela s’inscrit-il dans une vision naturaliste du monde ? Que suggère la réalité de la profonde aspiration humaine pour le sens ? Est-ce une indication que la vision naturaliste d’un univers de matière et d’énergie pour toujours sans rime ni raison doit être révisée ?

Comme le gobelet infâme de Game of Thrones, les aspirations profondes du cœur humain indiquent-elles qu’il y a plus dans l’univers ? Que certaines autres choses doivent exister afin que la vie ait du sens ? Y a-t-il vraiment plus de choses au ciel et sur la terre que ce dont rêve notre philosophie4 ?

C. S. Lewis affirme que « Si tout l’univers n’avait aucun sens, jamais nous ne pourrions découvrir qu’il n’en a aucun5 ». Le fait que l’on puisse concevoir l’idée de sens en premier lieu et être gêné par son absence ne ferait pas partie d’un univers s’il n’y avait pas le sens ultime. Comme l’a dit ailleurs Lewis,

« Et si je découvre en moi un désir qu’aucune expérience au monde ne puisse satisfaire, l’explication plausible ne serait-elle pas que je suis fait pour un autre monde6 ? »

C. S. Lewis

Cela signifie que nos désirs les plus profonds indiquent, avant tout, que ce qui peut les satisfaire existe. Par exemple, en musique, on comprend la dissonance harmonique et le besoin de résolution mélodique parce que la compréhension d’harmonie et de la résolution mélodique existent bel et bien.

Qu’en est-il alors ?

En général, les gens n’aiment pas la douleur, mais elle est nécessaire. Sans douleur, on ne saurait pas que sa main est brûlée par une casserole chaude. La condition rare appelée « l’insensibilité congénitale avec anhidrose » est extrêmement dangereuse et les personnes qui en sont atteintes ont besoin de surveillance constante puisque, sans la douleur, ils pourraient être gravement blessées, voire tuées, sans jamais savoir ce qui est arrivé.

Serait-il possible que l’angoisse face à l’absurdité d’un univers sans aucun sens d’une part, et les aspirations les plus profondes du cœur humain d’autre part, indiquent que quelque chose est cassé ?

Le désir de sens et la recherche frénétique et insatisfaite de quelque chose, n’importe quoi, qui puisse combler le vide, fournissent-il une indication que les êtres humains ont été créés pour du sens, et que ce sens réel doit être là quelque part ?

Si oui, quel est le type d’univers qui doit exister afin que les aspirations les plus profondes du cœur humain soient réellement satisfaites ? Il ne s’agit pas de l’univers proposé par Camus et Dawkins, mais de quelque chose de plus. Un univers avec Dieu ?

 

  1. Considérez la découverte des satellites de Jupiter par Galilée  et Simon Marius en 1610. Alors que Copernic avait présenté le modèle héliocentrique du système solaire 60 ans plus tôt, son modèle a constitué un revirement complet du consensus scientifique solidement établi, dans lequel Aristote était encore considéré comme l’autorité irréprochable. Ce consensus bénéficie du soutien des royaumes d’Europe et de l’Église de Rome. La découverte de ces satellites a toutefois indiqué clairement que le consensus scientifique à propos de l’univers avait besoin d’une révision significative…  ↩︎
  2. Richard Dawkins, River Out of Eden. Basic Books. 1996, p. 133, traduction libre. Pour la version française, voir Le Fleuve de la vie. Qu’est-ce que l’évolution ?, Éditions Hachette, 1997. L’ouvrage a été réédité en 1999 et en 2005 sous le titre Qu’est-ce que l’évolution ? Le fleuve de la vie. ↩︎
  3.   Voir Viktor E. Frankl, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, InterEditions, 2015. ↩︎
  4.  Hamlet, Acte 1, scène 5. ↩︎
  5.  C.S. Lewis, Les fondements du Christianisme, Editions L.L.B., 2020, p. 54. ↩︎
  6.  Ibid., p. 143. ↩︎

Rédacteur

F.W. Smith

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Yoan Michel

Contributeur

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