Joël Thibault : « 100 % Jésus, c’est plus qu’un bandeau »

Connu pour être l’accompagnant « spirituel » du deuxième meilleur buteur de l’histoire de l’équipe de France – Olivier Giroud –, Joël Thibault évolue depuis ses jeunes années dans les coulisses des stades et des compétitions sportives. Pour ce « pasteur des athlètes », il est urgent de redécouvrir notre humanité de manière holistique : corps, âme et esprit.


Selon plusieurs interviews, tu aspirais initialement à devenir footballeur professionnel, puis entraineur. Aujourd’hui, tu es aumônier auprès des sportifs. Pourquoi un tel changement ?

En vérité, je n’ai pas souvenir d’avoir espéré devenir un jour footballeur professionnel. Il est vrai que, lorsque j’étais jeune, j’ai joué à haut niveau. J’ai pu faire des détections pour rejoindre l’équipe de mon département. Mais très rapidement, j’ai pris conscience de mes limites, principalement physiques. Je n’ai jamais franchi le palier entre avoir un bon niveau et faire carrière. Avec ma petite taille, je n’avais pas vraiment ma place dans le football de l’époque. Mon autre passion, c’était d’entrainer. C’est pourquoi j’ai passé en parallèle mes diplômes d’entraineur.

Durant cette période de ma vie, j’avais placé beaucoup d’espoirs dans le football. Je m’étais forgé un idéal : devenir un entraineur rigoureux, discipliné, à l’image de Guy Roux. Mais au fil du temps, je voyais que le sport en tant que tel ne me rendait nullement heureux.

Un jour, alors que j’étais seul sur une plage, l’amour de Dieu est venu chambouler mes plans. Dans l’intimité, seul face à Lui, je lui ai confié mon existence. Peu de temps après, alors qu’on me proposait de devenir responsable de l’école de foot de mon club — mon rêve initial —, j’ai refusé. Je voulais suivre Jésus, et cela ne m’a pas semblé conciliable avec l’exigence du sport professionnel, à ce moment-là. Plus tard, alors que j’étais devenu professeur stagiaire d’EPS, en milieu scolaire, Dieu m’a guidé de nouveau vers la sphère sportive. Différents projets se sont mis en place et progressivement, j’ai commencé à entrainer des équipes d’églises — de foot, de volley, de course à pied. On utilisait le sport comme un moyen de tisser des relations, de s’ouvrir aux autres, de sortir de nos « ghettos » d’églises. 


Avec ton association, Holistic Sports, vous avez publié dernièrement un recueil intitulé Plus que vainqueurs qui contient des témoignages de sportifs et des extraits de la Bible. Peux-tu nous en dire davantage sur cette organisation, vos missions et ce qui vous anime ?

Dix ans après cette expérience de conversion, on m’a demandé si j’étais d’accord de me dédier aux sportifs de haut niveau, en me formant à la fonction d’aumônier. Cette proposition a fait écho à mon parcours : j’avais eu le privilège, plus jeune, d’être accompagné, spirituellement et sportivement, par un joueur professionnel. C’est alors qu’à pris forme, en 2018, Holistic Sports.

Cette association s’inscrit dans la continuité des aumôneries qui existent dans d’autres milieux – hôpitaux, prisons, armées… – et elle a pour but de prendre en compte la dimension globale, holistique, du sportif.

Celui-ci est un être humain qui a un corps, une âme et un esprit. Nous souhaitons proposer aux sportifs qui cherchent une cohérence d’ensemble un accompagnement, peu importe leur arrière-plan. Nous sommes motivés par trois objectifs : soutenir et écouter les sportifs de haut niveau avec bienveillance et désintéressement (lors de grandes compétitions internationales, par exemple), accompagner et « mentorer » des sportifs chrétiens qui souhaitent exprimer publiquement leur foi, et enfin aider ces sportifs à réaliser des projets engagés, humanitaires, qui leur tiennent à cœur.

https://www.facebook.com/boumard.josue/posts/2683604791863127


Quels sont les grands défis pour un sportif professionnel de haut niveau,
qui en plus est croyant ?

Des défis, dans ce milieu, il y en a beaucoup. Compte tenu du fait que dans le sport la dimension corporelle de l’individu est exacerbée, il y a un fort enjeu autour de la séduction. Dans le football notamment, on observe une vision biaisée du rapport homme-femme. La femme est souvent perçue comme un objet… Ce n’est pas facile pour un croyant sportif de savoir se positionner dans ce monde-là — très consumériste —, de savoir se détacher de certains vices, sans tomber dans une forme de « séparatisme » vis-à-vis de ses coéquipiers. Pour d’autres, la difficulté c’est le couple, la famille. Comment assurer des responsabilités familiales et conjugales couplées à une carrière de haut niveau ? Pour les sportives, la question de la grossesse est très fréquente. Puis, pour les chrétiens comme pour les autres, l’addiction au sport fait des ravages. Oui, beaucoup d’athlètes sont accros au sport, à l’adrénaline que ça leur procure. Cette dépendance est souvent dure à détecter et particulièrement pernicieuse. Enfin, après leur carrière, beaucoup de sportifs tombent dans l’anonymat. Cela est très dur. C’est une question fondamentale, foncièrement identitaire : « Comment exister une fois que ma vie de joueur est terminée ? » Cette question en rejoint une autre : celle de la valeur. « Ma valeur est-elle basée sur une performance, une carrière ? »

Face à tous ces défis, la foi chrétienne, j’en suis convaincu, vient donner une identité forte et une espérance pour tenir bon face aux épreuves de la vie. 


À la suite d’un classico agité opposant le PSG à l’OM il y a quelques semaines, tu as tweeté au sujet de Neymar : « 100 % Jésus, c’est plus qu’un bandeau. » Finalement, n’est-ce pas là un exemple symptomatique du lien entre foi et sport : une apparence très prosélyte, mais une attitude souvent contradictoire ? 

 

C’est une grande question : qu’est-ce que veut dire « 100 % Jésus » ? N’essaye-t-on pas parfois d’invoquer Dieu, comme un grigri censé nous garantir le succès ? C’est problématique de se revendiquer du Christ et d’avoir sur le terrain une attitude déplorable vis-à-vis de ses adversaires. Certes, la force de la foi chrétienne, c’est le message de la grâce, du pardon vis-à-vis de nos manquements et erreurs. Mais il ne faudrait pas que cet aspect du message biblique voile la face de la transformation à laquelle Jésus nous invite. J’observe deux phénomènes qui s’opposent : « l’hypergrâce » d’une part, et d’autre part l’idée que c’est notre comportement qui va nous sauver. Comme souvent, la vérité se trouve dans un équilibre. Le slogan « 100 % Jésus » me fait penser à cette parole de l’apôtre Paul :

« Fuis les passions de la jeunesse, et recherche la justice, la foi, la charité, la paix, avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur[1]. »

Voilà ce que « 100 % Jésus » devrait signifier : une cohérence d’ensemble. Malheureusement, il y a une vraie influence de la théologie de la prospérité parmi les sportifs, notamment sud-américains. Ces prédications mensongères font de la foi un rapport « donnant-donnant » qui occulte la consécration. Le succès et l’argent sont exaltés, alors que les questions de la souffrance, du renoncement sont trop souvent ignorées. Lors de l’accompagnement des sportifs, nous tentons de les aider à accepter le fait que Dieu peut leur permettre d’avoir des échecs, et que dans leurs échecs, il souhaite faire une œuvre de transformation en eux.


On connait le zèle de certains sportifs quant à la religion. Quelle place le sport français — dans le pays de la laïcité — laisse-t-il à l’expression de la foi ?

Si c’est Olivier Giroud qui répond à cette question, il te dira qu’il n’y a pas de problème. Pour lui, c’est peut-être plus facile. Mais il faut garder en tête qu’Olivier le fait tardivement, ayant passé la trentaine. Il part d’un certain statut, d’une certaine stature. Beaucoup de joueurs en début de carrière souffrent de certaines pressions. Cela se traduit par l’impossibilité d’aller à l’église, des moqueries, etc. Des clubs demandent même à certains de leurs joueurs d’arrêter de parler de Jésus sur les réseaux sociaux. Beaucoup ont peur de s’exprimer sur leur foi, car cela pourrait nuire à leur carrière. Être quelqu’un de trop intègre, ça ne fonctionne pas toujours dans ce milieu animé par la luxure. Giroud fait office d’exception. J’espère que cela le restera le plus longtemps possible. 


Beaucoup de célébrités, de tous milieux, ont, ces dernières décennies, affiché publiquement leur foi chrétienne. Je pense à quelques exemples récents : Justin Bieber, Kanye West, Selena Gomez… N’y a-t-il pas un danger de faire du christianisme une religion de VIP ?

D’un point de vue personnel, il était important pour moi de continuer de servir la soupe aux sans-abris, avec mon église. C’est crucial de ne pas être dans une bulle, enfermé dans une tour d’ivoire. Dans l’Église, il y a souvent ce besoin d’être légitime aux yeux de la société. C’est pourquoi, quand une célébrité s’affiche comme chrétienne, on veut la « manger » à toutes les sauces. Et il y a danger !

La « star » a besoin d’être considérée comme une personne normale. C’est un réapprentissage pour elle de se dire qu’elle n’est pas plus importante aux yeux de Dieu que la mamie de 90 ans qui œuvre dans l’anonymat le plus total.

Par ailleurs, c’est important de préserver la confidentialité et l’intimité de ces personnalités. Nous avons perdu ces valeurs dans beaucoup d’églises. La moindre anecdote ressort, sans autorisation. C’est un gros chantier pour les responsables d’églises de faire attention avec ces célébrités, de ne pas les mettre sur un piédestal et d’être plus prudents sur ce qu’on dit à leur sujet.


Dans le slogan imagoDei, nous jouons de l’homophonie entre « sain » et « saint ». Selon toi, comment allier dans notre quotidien du XXIe siècle sanité et sainteté ?

Après ce qu’on vient de vivre il y a quelques mois — le confinement —, les conséquences mentales sont considérables. Beaucoup de celles et ceux qui n’ont pas gardé une activité physique quotidienne sont devenus anxieux. Au niveau hormonal et cardiovasculaire, faire du sport aide à ne pas sombrer. On constate tristement que les tentatives de suicide, les dépressions se sont multipliées dernièrement, en raison notamment de la sédentarité et de la distanciation sociale. Aux profanes du sport, j’aime rappeler que l’activité physique est une bonne chose.

Trop souvent, les chrétiens ont oublié cet impératif : prendre soin de son corps. Selon la Bible, le corps est le temple du Saint-Esprit. C’est très important de l’entretenir !

À l’inverse, les sportifs, je les interroge souvent ainsi : « Au-delà de l’entrainement physique, quelle est ta part d’investissement spirituel pour préparer un match ? Quelle est la qualité de ta vie de prière ? Est-ce que tes prières se limitent à un tweet ou à une photo Instagram ? » Il faut prendre le temps d’épurer ses motivations. Alors que le monde aime les têtes de gondole, les têtes d’affiche, je pense qu’un esprit sain et saint, c’est un esprit qui recherche le bien du collectif. L’image biblique du corps « spirituel » illustre l’idée que chaque personne joue un rôle unique et indispensable !


Vous pouvez suivre Holistic Sports sur Facebook, et en découvrir plus sur son activité, via ce site internet.


[1] Deuxième lettre de Paul à Timothée, chapitre 2, verset 22.

Rédacteur

Joseph Gotte

En savoir plus

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

six + dix =

Autres articles

Continuer la lecture

Joseph Gotte

Thibaut Servas : « La cuisine est éminemment relationnelle et spirituelle »

Quelques semaines après leur réouverture, nos restaurants, bars et caf...

Christel Lamère Ngnambi

Islam, identité, société : conversation avec Yousra

Islam, identité, société : comment comprendre ? Dans cet article-dial...

Meak

Journal de bord d'un parolier en mission

Que peut-il bien se passer dans la tête d'un compositeur au moment d...