Le pas de côté de Claude Monet

Une nouvelle librement inspirée de la vie et de l’œuvre de Claude Monet ( 1840-1911 ).



« Non, vraiment, l’hôtel est confortable mais la nourriture est infecte, en Norvège… Ah ! Alice, prendre un bon petit déjeuner, tous ensemble, dans notre cuisine jaune… »  Monet descend les escaliers. Il s’est équipé contre le froid – moins dix au moins, en journée. Vêtements chauds. Une toque de fourrure. De bonnes chaussures montantes. « Je dois ressembler à un ours ! »

Aujourd’hui, Jacques ne l’accompagnera pas.

La servante au tablier fleuri s’approche, souriante. « Le traîneau est là ? » Elle fait oui de la tête, et il sort. Il neige. Jacques l’avait prévenu : la journée ne sera pas bonne. Mais il n’en peut plus d’attendre, attendre, pour se mettre à travailler. Ses toiles sont préparées. Il en prend toujours plusieurs, parce que la lumière change tellement qu’il peindra simultanément plusieurs toiles, au fil des heures. « Il serait dramatique, tout de même, de rentrer bredouille ! »

Il s’installe dans le traîneau. Ici, tout le monde se déplace en traîneau. Il y en a des riches, des pauvres, des grands et des petits, pour les enfants. Le traîneau est tiré par un cheval robuste. Le cocher est avenant, comme tous les Norvégiens qu’il côtoie. Il s’assoit et s’emmitoufle dans des fourrures d’ours. Les ours… On dit qu’ils se cachent, dans la forêt. Il n’en a pas encore vus. « Aux deux maisons ! » crie-t-il au cocher. Le traîneau s’élance, avec une musique de grelots qu’il trouve si amusante. Son corps, bien protégé, ne ressent pas le froid, qui le saisit malgré tout au visage, le mord, le tire. Il passe dessus fréquemment ses mains gantées, pour le réchauffer.

Il sait où il veut aller. Il a déjà entrepris plusieurs repérages des lieux, autour de la ville de Christiana, où il réside. Il a cherché le motif. Avec Jacques, munis de pelles, ils ont parfois entaillé des chemins dans la neige, pour aller où Monet le souhaitait : un bon point de vue, sans rien qui gêne, pas comme sur les chemins. Ici, de partout, on voit une montagne. Ils l’appellent : le Mont Kolsaas. Il lui fait penser au Mont Fuji, à sa collection d’estampes japonaises… Mais ce n’est pas la montagne qu’il a en tête, aujourd’hui.

Le traîneau s’arrête. Monet en descend. Il ne refuse pas l’aide du cocher pour porter, jusqu’au lieu élu, son attirail de peinture. Il s’installe, dans la neige, et voit, dans les yeux du cocher, de l’incompréhension mêlée d’admiration. Oui, il faut effectivement être habité par une folie comme la sienne pour affronter ce climat.

Monet est seul, face au chevalet. Dans le blanc. La neige ne cesse pas de tomber. Ses yeux, sa barbe, constamment, en sont pleins. Mais il n’est plus qu’un regard. Il s’est fait conduire là à cause de deux petites maisons de bois brun, très simples, l’une près de l’autre, comme posées dans l’immensité de l’espace autour d’elles.

Monet regarde… Ici, en janvier, il fait jour à partir de sept heures trente environ. Pour l’instant, le paysage sort encore de la pénombre nocturne et la neige est sans couleur, d’un blanc terne, un peu gris. Il faut attendre… Monet se lève et se tape les épaules avec les deux mains, pour faire tomber la neige. « Jacques avait raison… Mauvaise journée pour peindre. Mais pas pour regarder… »

Du gris émerge peu à peu une teinte bleu-pâle, évanescente et les cabanes, qui étaient noires, deviennent grises. A l’horizon paraît une ligne, bleue aussi, de montagnes. « La neige peut donc être bleue, au sol et sur les toits, et dans les cieux. » Mais déjà des taches de lumière, à peine jaunes, s’emmêlent aux flocons… Comment saisir cela ?

Pourquoi est-il là ? Seul, dans le froid extrême, loin des siens, loin de tout, entêté. Sans même pouvoir faire rien de ses doigts, gourds. Pourquoi ? Une fois encore, il perçoit, lui, qu’il n’est rien, dans l’univers immense. De la nuit, chaque jour, émerge la lumière, ce don miraculeux. Et il sait qu’il ne lui suffira pas d’une vie pour tenter de saisir, ou qu’il soit, la beauté de la lumière portée sur le monde.

« Monsieur Monet ! Monsieur Monet ! » Qui l’appelle au lointain ?

Rédacteur

Jean-Michel Bloch

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Contributeur

Elsie Pomier

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Contributeur

Estienne Rylle

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