Politique et religion : un cocktail explosif ? Analyse avec André Gagné

Trump et les chrétiens évangéliques : une réalité qui dérange (et qui fait la Une…)

Les chrétiens blancs évangéliques dits « nés de nouveau » ont joué un rôle considérable dans les élections de 2016 et 2020 en votant à 81 % en faveur de Donald J. Trump. Cette influence religieuse apparaît aux francophones comme un phénomène stupéfiant, parfois délirant, et souvent… inquiétant.


D’autant plus que cela déborde largement les États-Unis, et nous influence dans notre façon de voir le monde, la politique, la religion, mais aussi nous-mêmes et nos concitoyens, que nous jugeons selon leur foi ou leur laïcité.

C’est dans ce contexte que notre invité, André Gagné, s’est fait remarquer à l’automne 2020 comme spécialiste de la religion dans la politique américaine. Professeur titulaire au Département d’études théologiques à l’Université Concordia à Montréal, il a publié juste avant les présidentielles Ces évangéliques derrière Trump : Hégémonie, démonologie et fin du monde (chez Labor et Fides). Selon lui, le manque de nuance et de compréhension de ces réalités complexes risque d’envenimer les débats et de faire du tort.

Dans cet épisode, André Gagné nous parle de son sujet et de comment la mission d’écrire ce livre répond, pour lui, à la vocation de professeur des universités : aider autant de gens que possible à mieux comprendre le monde.


Comment comprendre Trump et les chrétiens évangéliques ?

Comment comprendre l’influence religieuse dans la politique américaine ?

Comment donner du sens à ce que l’on peut lire, voir et entendre sur tel groupe chrétien évangélique qui semble porter un soutien sans faille à une figure pour le moins controversée ?

Dans cet entretien, André Gagné nous livre ses conclusions sur les évangéliques derrière Trump. Extraits.


Faire venir le Royaume de Dieu (et de Trump) sur terre

Même après la défaite de Trump, ces questions restent d’actualité, parce qu’elles concernent des groupes qui continuent de soutenir Trump. En effet, les évangéliques sont encore présents dans le paysage politique aux États-Unis, et un peu partout à l’échelle planétaire.

Or, ce qui a fait gagner Trump, c’est essentiellement qu’il a réussi à parler à cet électorat évangélique. Il s’est intéressé à leurs préoccupations et a soutenu leurs positions éthiques, notamment sur l’avortement et la liberté religieuse, ainsi qu’en favorisant de bonnes relations avec Israël.

Cela contribue à donner l’impression que le parti républicain est nécessairement associé au christianisme, et que les chrétiens votent nécessairement pour Trump.

Et pourtant, il est important de ne pas se précipiter dans les généralisations !

Il faut être nuancé et précis dans la description des groupes que l’on attaque sur le plan politique.

Les réseaux activistes sur lesquels André Gagné concentre son enquête s’adonnent généralement à une idéologie dite « dominioniste ». Ce terme émane d’un courant que l’on nomme le « reconstructionnisme chrétien », et qui a émergé dans les années 1960-1970 sous l’influence d’un dénommé Rousas John Rushdoony. Il a par la suite été repris dans les années 1970 par des néo-charismatiques et pentecôtistes (tendances théologiques au sein du protestantisme évangélique), puis développé de manière plus significative à partir de la fin des années 1980.

En bref, le mouvement dominioniste considère que les chrétiens sont appelés à pénétrer toutes les sphères de la société et, de fait, à régner sur le monde.

L’idéologie dominioniste s’appuie par exemple sur le mandat des Sept Montagnes. Il s’agit d’une exhortation à prendre des postes d’influence dans les sept sphères d’influence que sont la famille, l’éducation, la politique, le monde des affaires, les médias, la culture, et la religion, afin d’y faire venir le « Royaume de Dieu ».

Or, l’expression du « Royaume de Dieu » peut être interprétée de différentes manières !

Chez les évangéliques classiques, l’expression « le Royaume de Dieu » fait souvent référence à une transformation intérieure de la personne, qui invite Dieu à régner dans son cœur.

Chez les dominionistes, le Royaume de Dieu est d’abord politique. L’Église est appelée à conquérir. Il s’agit vraiment là d’un militantisme politique et social.

Or, c’est précisément les néo-charismatiques et pentecôtistes dominionistes qui ont joué un rôle significatif dans l’élection et le soutien de Trump.


Trump et les chrétiens évangéliques : le cocktail explosif de la religion et de l’engagement politique ?

La réalité du soutien de Trump par ces groupes religieux a fait couler beaucoup d’encre dans les médias. Il faut néanmoins rappeler que l’influence de la religion aux États-Unis n’est pas neuve.

On peut penser à de nombreux chrétiens engagés en politique (et qui n’étaient d’ailleurs pas toujours affiliés au parti républicain !) : le président démocrate Jimmy Carter, chrétien pratiquant, ou encore Martin Luther King, dont le fameux « I have a dream » est teinté d’un imaginaire biblique…

Historiquement, ces personnalités engagées en politique ainsi que dans leur foi reconnaissaient la dimension pluraliste de la société.

En fait, il y a toujours eu des chrétiens progressistes, des chrétiens évangéliques, des chrétiens catholiques qui se sont investis en politique aux États-Unis. Dans leur engagement, ils cherchaient un équilibre entre, d’un côté, leurs convictions et, de l’autre, la pluralité religieuse du pays. En effet, il y a aux États-Unis des citoyens qui se réclament du christianisme mais aussi d’autres religions, ou encore qui n’appartiennent à aucune religion.

Or, le gouvernement doit gouverner pour tout le monde.

Aujourd’hui, précise l’auteur, la droite chrétienne américaine (qui, depuis la fin des années 80, est fortement liée au parti républicain) semble avoir moins de tolérance pour ce pluralisme. Et c’est là qu’il faut se méfier. Qu’il y ait des gens qui aient des valeurs chrétiennes ou religieuses en politique, là n’est pas le problème !

Le problème, c’est lorsque les politiciens ne sont pas capables d’accepter le pluralisme et de travailler dans un contexte de diversité religieuse.

Le problème, c’est quand des politiciens ont un discours qui ne fait que privilégier leur propre vision du monde, au détriment des autres religions et des autres points de vue. Un politicien (qu’il soit musulman, athée, chrétien… ou quelles que soient ses croyances !) est élu au sein d’une société, et donc, il se doit de gouverner pour tout le monde.

Un projet de société qui fonctionne est capable de rassembler l’ensemble de la société pour le bien commun.


La solution : évincer la religion ?

Le refus du pluralisme et la favorisation de certains groupes religieux au détriment d’autres est malheureusement une réalité, et pas seulement aux Etats-Unis : il suffit de penser en France aux polémiques autour de la laïcité, ou autour du projet de loi sur les séparatismes, pour ne serait-ce que toucher du doigt l’ampleur du débat.

On ne peut pas comprendre le monde sans comprendre le religieux

Face à de telles difficultés, ne vaudrait-il pas mieux évincer complètement la religion de la sphère politique ? André Gagné rappelle que, malgré tout, on ne peut pas comprendre le monde sans comprendre le religieux. Il est là, omniprésent, et influence dans notre culture bien plus que la politique.

Peut-être serait-il plus à propos, ainsi, de favoriser la compréhension du fait religieux ? De permettre aux politiciens, et à l’ensemble de la société, de mieux comprendre quels en sont les enjeux ?

« J’ai une responsabilité sociale en tant que professeur à communiquer de manière compréhensible, à vulgariser mon travail »

– André Gagné

Une invitation pour nous tous à mieux comprendre le(s) religieux, pour mieux comprendre le monde, la politique, et mieux nous comprendre et nous-mêmes ?


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Notre invité :

André Gagné est Professeur titulaire au Département d’études théologiques à l’Université Concordia (Montréal, Québec, Canada). Il est aussi chercheur au Centre d’études sur l’apprentissage et la performance (CÉAP), chercheur partenaire au Centre de recherche Société, Droit et Religion at l’Université de Sherbrooke (SoDRUS), et co-chercheur au Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR).

Ses recherches portent sur les néocharismatiques-pentecôtistes, le mouvement évangélique, le fondamentalisme, la droite religieuse, la violence religieuse, et l’interprétation et la réception de la Bible.

Rédacteur

Sagesse et Mojito

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Contributeur

Christel Lamère Ngnambi

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Jean-Christophe Jasmin

Contributeur

Jean-Christophe Jasmin

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